Nicolas Barry

Grand crié
étape de création

Subversif, revendicatif, festif, agressif ou craintif, le cri est polyphonique. Nicolas Barry en décline toutes les gammes le temps d’un spectacle, littéraire et chorégraphique, qui manie avec virtuosité le lip synch, technique très prisée des numéros de cabaret.

Le cri nous intéresse pour son absence, il n’est beau qu’en tant qu’il succède au silence“. Grand Crié est une approche exploratoire de cette interaction sonore et de ses spécificités pour renseigner et éclairer dans le cri de l’époque présente, sa force originelle qui peut parfois échapper à celles et ceux à qui ils sont adressés.

Voilà des siècles déjà que l’on crie sur scène. Les artistes ont pressenti il y a longtemps, avec Artaud récemment, avec Dyonisos à l’origine, qu’on trouve en l’action de crier une manifestation corporelle synthétique et symbolique d’une rupture avec le cours normal des choses. Rupture qui de nos jours pourrait aider à l’émancipation des codes à la fois corporels et de langage qui sont à l’origine de l’épuisement de la capacité des individus à se battre contre la domination économique et politique. Le cri est, dans la culture occidentale, en bas de l’échelle de valorisation du langage, proche de l’animal, du bébé, du « sauvage », du féminin, du sexuellement et psychiquement marginalisé. Afin de dénoncer et de conjurer les procédés de domination qui s’expriment à travers la langue officielle et élevée, qui est la propriété des dominants, certain.e.s artistes se sont mis à crier. Crier alors c’était revendiquer pour l’art le bas de l’échelle symbolique, et la renverser. Crier, avec les actionnistes, dans la Vienne de la fin des années 1960, représentait une mise en crise sonore de tout l’agencement harmonique d’une ville qui s’exprimait dans une grande symphonie bourgeoise. C’était s’exclure, ou être exclu.e, de facto, sans possibilité de retour, de l’ordre économico-politique.

De nos jours cependant, alors que le cri continue de jouir d’un certain prestige subversif hérité des avant-gardes artistiques ou des grandes figures de la « beat generation », il semble qu’il ait pourtant été digéré, et soit même devenu un mode d’expression parfaitement intégré. Cela n’est pas anodin, et c’est même peut-être grave. Si le cri est une modalité positive et intégrée dans certaines cultures où les rites chamaniques et de possession on une forte valeur collective, il n’en est pas de même dans les sociétés capitalistes déritualsiées. Car le capitalisme a su depuis des années montrer sa puissance à re-coder en sa faveur tout type de subversion, jusqu’à en neutraliser à la fois les effets (politiques) et les agents (ici, les artistes). Re-coder en sa faveur, c’est-à-dire à son service. Dès lors, il faut se pencher attentivement non plus sur la quantité de cris scéniques, mais sur la qualité de ces derniers. Si l’on accepte le principe de la captation par le capitalisme d’un mode d’expression initialement subversif, mais re-codé afin de participer à de la création de richesse (qui est sa raison d’être), alors il n’est pas impensable que le principe du cri se soit d’une certaine façon aligné sur celui du capitalisme.

Lors des recherches et des expérimentations qui ont marqué le lancement de cette création, nous avons réalisé la surreprésentation, dans l’esthétique contemporaine du cri scénique, de représentations qui allient à la fois bellicisme brut et esthétique de la fête, éloge de la virilité à peine voilé, similitudes troublantes avec les agressions publicitaires, et enfin spectacularisation de la force- physique qui semble parfaitement s’insérer dans le dispositif de compétition inter-personnelle qui est la manière d’être et la condition de persistance du capitalisme néo-libéral. Le cri scénique a fondé son alliance avec le capitalisme dans son admiration quasi érotique de l’esthétique guerrière. Notre idée est que si le cri a finalement été accepté sur scène, s’il ne fait plus se lever les spectateur.trices scandalisé.e.s, c’est que c’est un cri d’homme-puissant, un cri publicitaire, un cri de guerre, et que pour ceux-là, nos oreilles sont trop habituées, et trop attentives.

Et c’est pourquoi notre idée à nous,
Est de déposer les armes,
et d’ouvrir la bouche.

Nicolas Barry est un auteur dramatique et chorégraphe né en 1989 à Lille. Après des études de lettres et de théâtre à Paris, il intègre l’ENSATT à Lyon, dans le département d’écriture dramatique. Il travaille dès 2017 comme dramaturge auprès de Julien Fisera (Compagnie Espace Commun). Il est Lauréat de la bourse R.C.A 2018-2019 (ENSATT Lyon, ENSBA Lyon, CNSMD Lyon), qui lui permet de créer le spectacle Les Obsèques du Grand Paon à la Biennale d’art contemporain et aux Subsistances, puis de participer au concours Danse Élargie au Théâtre de la Ville. Avec l’Ensemble Facture, il réalise l’Eau Potable, court métrage dont il assure l’écriture et la mise en scène. Sa pièce « La Paix dans le monde » a été Lauréate du festival Jamais Lu et donnée en lecture à Théâtre-Ouvert en 2021, puis sélectionnée par le comité de Lecture Troisième Bureau à Grenoble. Sa prochaine création Grand crié, sera créée en novembre 2022, aux SUBS.

nicolasbarry.com

Conception, textes et chorégraphies : Nicolas Barry 
Compositeur : Martin Poncet  

Création Lumière : Lucien Vallé 

Textes du livret – dramaturgie : Mathilde Soulheban
Artiste Peintre : Claude Dhondt
Interprètes : Sophie Billon, Nangaline Gomis, Julien Meslage

Production : ensemble facture
Coproduction : Les SUBS Lieu vivant d’expériences artistiques, Théâtre de la Ville – Paris,
Aide à l’expérimentation RAMDAM, Un centre d’art
Résidence d’expérimentation Centre National de la Danse