Une promenade sonore dans l’espace urbain vous entraîne dans les bas-fonds de la psyché des masculinistes. Un regard différent sur les luttes féministes : celui de leurs ennemis.
Avez-vous déjà entendu parler des Incels (pour involuntary celibates) ?
Il s’agit d’une communauté d’hommes hétérosexuels qui n’ont jamais eu (ou très peu) de rapport sexuel et qui se rassemblent sur internet autour d’une cause commune : la haine des femmes. Au cours d’une promenade sonore dans l’espace urbain, vous pourrez personnaliser votre expérience en décidant jusqu’à quel point vous êtes prêts à entrer dans leur monde. Cette action artistique post #MeToo porte un regard différent sur les luttes féministes : celui de leur ennemi.
Spectacle aux SUBS dans le cadre de l’appel à projet Geyser avec le Grütli, Genève.
Mon travail artistique explore les mondes virtuels : ceux des jeux vidéo, d’internet et de toute la culture qui y est associée (ce qu’on appelle la culture Geek). Je m’intéresse à la fois aux pratiques engendrées par ces mondes virtuels (incarner un avatar, discuter sur un forum…) et aux communautés qui s’y forment et s’y dévellopent.
Ces derniers temps, il y a une communauté que j’épie fréquemment sur internet : les incels (pour involuntary celibate).Ce sont des hommes qui se réunissent pour parler de leur haine des femmes. Ils ont des forums, ils tiennent des blogs, ils écrivent des manifestes, ils parlent de leurs expériences, ils se donnent des conseils.
Dans un contexte occidental toujours ancré dans le mouvement #Metoo, qui a donné à la parole des femmes un espace d’expression et d’écoute inédit, on pourrait croire que les choses avancent, que la condition des femmes évolue, qu’elles sont plus écoutées. Et c’est vrai, en partie, dans certains contextes. Mais il y a aussi l’émergence de nouveaux mouvements, de nouveaux discours haineux. Le masculinisme (idée que la société est en crise parce que les femmes ont trop de pouvoir) et la misogynie trouve un élan de revitalisation sur internet, et notamment à travers cette communauté.
L’impact des incels ne se limite d’ailleurs pas au virtuel puisqu’ils ont déjà plusieurs1 tueries à leur actif. Aux états-unis, la presse parle de mass shooting, de tueurs malades et isolés. Mais certaines féministes, et moi avec elles, parlent d’attentat et de terrorisme masculiniste.2 Ils sont décrits comme des malades mentaux, mais ils font plutôt penser à des êtres exceptionnellement sensibles à la folie et la haine qui les entoure.
Pour construire cette réflexion, j’ai choisi de me concentrer sur un seul de ces incels, dans l’idée que la comparaison entre deux individus (lui et moi) pourrait créé plus d’intimité et donc une réflexion plus enrichissante. Il s’agit d’Elliot Rodger, l’auteur du premier attentat perpétré au nom de la haine des femmes en 2014 à Isla Vista. Comme l’écrasante majorité des incels, Elliot Rodger était3 jeune, blanc, hétérosexuel, il passait l’essentiel de son temps sur internet ou à jouer aux jeux vidéo et il avait très peu d’amis. En un certain sens, je me sens proche de lui, moi aussi j’ai passé l’essentiel de mon adolescence sur internet ou à jouer aux jeux vidéo, et je n’avais pas beaucoup d’amis non plus.
Elliot Rodger a laissé sur son blog une autobiographie de 80 pages. Il y décrit son enfance et son adolescence passé dans sa chambre, ses sentiments, sa rage et sa frustration. Il y décrit enfin, et c’est là un point qui m’intéresse, ce qu’il ressent quand il voit des femmes dans la rue et qu’il tente de les aborder pour faire leur connaissance. Il considère l’espace public comme un terrain de chasse, et les femmes comme des proies qui lui doivent une soumission complète. Quand je marche dans la rue, je me sens rarement en sécurité. J’ai, comme la plupart des femmes, des tonnes d’anecdotes d’hommes qui m’ont abordé, insulté, agrippé, agressé. Je me suis toujours demandé pourquoi ces hommes m’abordaient dans la rue, ce qu’ils attendaient, s’ils pensaient vraiment que ça marche, des fois. Le récit d’Elliot m’offre une piste de réponse.
Marion Thomas, metteure en scène, est née en 1986 en région parisienne. Après avoir obtenu un Master en littérature à l’Université de Nantes, elle se forme à la mise en scène à la Manufacture de Lausanne (Suisse). Elle y travaille principalement avec Robert Cantarella, Laurent Berger, Alain Françon et Philippe Quesne, Elle a été assistante à la mise en scène pour Joris Matthieu et Guy Alloucherie (compagnie HVDZ). Elle a pratiqué assidûment la danse contemporaine, le théâtre, la marionnette, la majorette anarchiste et la magie. Elle développe actuellement ses propres projets scéniques entre Nantes avec la compagnie FRAG et Lausanne avec Pintozor Prod. Elle a par exemple, créé une installation vidéoludique performée pour le Château des ducs de Bretagne, et coorganisé une recherche artistique pluridisciplinaire autour des imaginaires de la mer en partenariat avec l’Ifremer (Institut Français de Recherche pour l’Exploitation de la Mer). Elle continue en parallèle à être interprète pour diverses compagnies françaises dont la Stomach Company, sélectionnée à Impatience 2018 pour TRTFF, actuellement en tournée, et des compagnies Suisses dont le BlackPoolClub. Depuis 3 ans, elle donne des cours de dramaturgie aux étudiants de Master en médiation internationale à l’Université de Nantes. Elle explore ainsi les formes d’hybridation théâtrale avec d’autres formes culturelles.
Pintozor Prod. (Lausanne) est un collectif pluridisciplinaire composé de créatrices qui aiment concevoir de nouvelles façons d’envisager le présent et le futur. Elles naviguent entre théâtre, performance, balades sonores, installations ; elles esquissent des utopies et vont à la rencontre des rêves des jeunes générations à travers des ateliers immersifs sur l’imaginaire et la science-fiction. Elles se retrouvent autour de leurs conceptions des féminismes et explorent une écologie de travail qui leur permet de souffler un peu. www.pintozor.org
Collaboratrices artistique et technique : Maxine Reys, Audrey Bersier
Production : Pintozor Prod.