« Un homme. Une femme.
Un laboratoire domestique semi-professionnel.
Iles discutent de leurs relations aux toxiques.
Iles ont l’air de savoir s’aimer.
Iles font de leur intimité un vaste champ d’expérimentation.
Elle synthétise un sédatif et un stimulant, il l’aide.
Iles assument leur part dans la fabrique de l’empoisonnement.
Iles y voient quelque chose d’existentiel.
Iles connaissent bien la chimie qui les compose.
Chacune de ses modifications est un évènement. Vague hormonale et rail de coke, un rien les amuse.
Iles s’arrêtent sur des détails comportementaux de notre chimie humaine ou de leur intimité.
Tout devient moléculaire : sujétions, inhibitions, compensations.
Ça leur donne des idées. »
Iles ont une moralité douteuse. Elle s’empare d’un privilège : intruser la chimie de ses contemporains. Il aimerait bien qu’elle arrête. Elle croit en un équilibre perdu, en une intégrité spoliée par une toxicité diffuse et globale. Elle vise une émancipation qui passe par une auto régulation chimique précise et continue. Lui, aime tout siphonner.
Iles opèrent en direct des phases de synthèse chimique, les réactions et transformations de la matière rythment leur échange. L’ambiance est quotidienne, iles ont l’air plutôt lucides, on ne les voit pas consommer. Tout est mélangé : complicité amoureuse, causerie scientifique, spéculations vivrières, questions métaphysiques, passe-moi le nitrate de sodium, prospective loufoque et détails intimes.
Au cœur de ce feuilletage, leur rapport au contrôle et à la toxicomanie.
Iles s’amusent de nos capacités d’influence, de dépendance, d’arrangement. Iles ne se reprochent rien, osent tout. Iles cherchent ce que nos existences et nos amours ont d’alchimique : une capacité de transmutation.
Ce sont des gens du stupéfiant, iles ont toujours envie de changer d’état. Iles s’offrent des tours de manège.
Les substances les aident à transformer rapidement leurs consciences, points de vue et comportements. Iles sont sensuels et amnésiques. Iles vont loin. Leurs récepteurs s’habituent. Iles explorent le contour abusif de chaque consommation. Iles trouvent que le monde leur ressemble. Peu de frugalité choisie.
Neuroadaptés à l’abondance, si on s’arrête, on fait quoi ?
Anne Corté fabrique des spectacles comme on prépare des surprises. Elle commence la performance par des collages sociologiques baroques et sportifs puis vend son premier spectacle en 2011, une partition de passants, le début d’une série expérientielle où la place du spectateur est partie intégrante du sujet de la pièce. S’en suit une réaction en chaine verticale d’ouvriers cordistes, un duo avec un dindon vivant, une centaine de performances de poétesse jackass, un bal de fantôme où une partie des spectateurs est invitée sur scène à expérimenter la mort.
Puis vient Autokèn, texte lauréat de l’aide à la création d’ARTCENA en 2019, présenté au Festival actoral19 dans le cadre de l’Objet des mots, en partenariat avec la Sacd. La version plateau d’Autokèn sera créée les 30 septembre, 1er et 2 octobre à l’IMMS dans le cadre du Festival actoral21. Anne Corté écrit une nouvelle pièce intitulée Chimie, dont la création est prévue en 2022.
Ses spectacles ont en commun une fascination pour les multiples qui constituent le réel et un certain type d’humour, entre malaise et tendresse.